Bruno Dufour Coppolani
I have become a geriatric visitor. Instead of facing the spectacle of decay that I dreaded, I experienced a unique expression of beauty: an intense kind of beauty when you dare face it – and so much more intense because it is endangered. Through wrinkles, blood vessels that have become visible, scars, brown spots and other skin conditions, I have experienced skin like you experience a tragedy: a delicate display of wear and tear where those who are going to die require those who remain. Transparent skin and beckoning eyes have allowed me to catch a glimpse of the exact opposite of ideal beauty, in a fascinating aesthetic experience, a unique physical power and an immeasurable impact.
Because skin is the unrelenting expression of what we will become, the culture of eternal beauty, without skin so to speak, has always been there to mask this devastating truth, which is the visible manifestation of human finiteness. We have always dreamed of eternal life to forget death, to the point of intoxication, to the point of forgetting that running away from death means that we no longer know why we live. How can we not talk about beauty when time and its manifestations – affectionately but without concessions – reveal our condition. This beauty is based on the signs that we would rather not see and on the profound meaning of what they represent, where we must accept our own humanity in this other person who is so different from us, where aging opens the door to otherness, to an ethical way of being.
In my practice I established procedures to turn pictorial reactions into cutaneous reactions. In the end, I wanted the endangered surface of the painting to express what endangers the body. … I have to add that, with regard to the beckoning eyes, in-person contact was necessary, a direct encounter without any gimmicks. By making this choice I was able to measure how much the expression of our eyes is essentially linked to the movement of the skin around the eyes, to the wrinkles that define it: if the portrait is an expression of our identity, the face is the key to our humanity.
Giving the skin back to our immortal faces certainly makes them mortal, but by stripping them of this mask of futile illusion they also become alive. While my work may be obsessed with finiteness, it is also an artistic battle. According to contemporary belief, art should not concern itself with anything else but being art, but its profound nature has always addressed the important issues that we face in our world. I suggest that we return to what is human, to the body, without make-up I might say, through the skin, just like Bacon did it so well through the flesh. In order to definitely be contemporary, I am forcing myself to face the mirages of an endless facade that, by smoothing our wrinkles, eliminates any kind of expression in our encounters.
I am facing an art where shapes are nothing more than show, where ideas rule, where shock value is a means to reveal the truth. It is the role of art to point out the ongoing travesties of a world that refuses to acknowledge its limitations; that of the painter to show exactly what we do not want to see. If the portrait is an expression of our identity, the face is the key to our humanity. Our face is the encounter all in itself. An old man’s face – beyond that – is a compelling lesson about our condition; let’s contemplate it to find our definitive way of being.
French original
Je suis devenu visiteur en gériatrie. En lieu et place du spectacle de la déchéance que je redoutais, c’est à une forme inédite de beauté que je fus confronté : une beauté intense quand on ose l'affronter ; d’autant plus intense qu'on la sait menacée. Par les rides, les vaisseaux rendus visibles, les cicatrices, les taches et toutes autres manifestations cutanées, j’ai vécu la peau comme on vit une tragédie : théâtre sensible de l’usure où l’autre qui va mourir oblige dans son être celui qui reste. Dans la transparence des épidermes et la sommation des regards j’ai entrevu l'exact revers du beau idéal, dans une expérience esthétique toute aussi grande, une puissance plastique sans égale et un affect sans mesure.
Parce que la peau est l'implacable expression de notre devenir, la culture d’une beauté éternelle, sans peau pourrait-on dire, a toujours été là pour masquer cette vérité bouleversante qu’est la manifestation sensible de la finitude. On a toujours rêvé d’éternité pour oublier la mort, jusqu’à l’étourdissement, jusqu’à oublier que fuir la mort c’est ne plus savoir pourquoi l’on vit. Comment ne pas parler de beauté quand, sans concessions mais avec tendresse, le temps et ses manifestations éclairent notre condition. Cette beauté repose sur les marques qu’on voudrait ne pas voir et la profondeur de ce qu’elles désignent, où s’impose la reconnaissance de sa propre humanité dans cet autre si différent de soi, où l’altération en quelque sorte ouvre la voie de l’altérité, celle de l'éthique.
Des protocoles ont ensuite été retenus dans ma pratique pour que les réactions picturales se fassent réactions cutanées. J’ai voulu in fine que la surface menacée de la peinture rende sensible ce qui menace le corps. ... Je dois ajouter que, concernant la sommation des regards, le dispositif du face à face s’est imposé, rencontre frontale sans artifices. J’ai pu mesurer par ce choix combien l’expression d’un regard est pour l’essentiel rendue par les mouvements de la peau qui l’entoure, par les rides qui le dessinent : si le portrait renvoie à l’identité, le visage convoque l’humanité. Rendre leur peau aux figures immortelles c’est sans doute les rendre mortelles mais c’est aussi, en faisant tomber le masque d’une vaine illusion, les rendre vivantes.
Hanté par la finitude mon travail est aussi un combat artistique. La contemporanéité a fini par croire que l'art ne devait avoir d'autre préoccupation que l'art lui-même quand sa nature profonde a toujours été de rendre sensibles les grandes questions qui traversent les mondes.
Je propose de revenir à l'humain, de revenir au corps, sans fard oserai-je dire, par la peau, comme Bacon l’a si bien fait par la chair. Je me confronte, pour être définitivement de mon temps, aux mirages d’une éternité de façade qui lisse la rugosité des surfaces, qui refuse les rides et par là même enlève aux rencontres toute forme d’expression. Je me confronte à un art où les formes ne sont plus que spectacle, où les idées sont reines, où sidérer vaudrait révéler. C’est le rôle de l'art que de nous avertir des simulacres répétés d’un monde qui refuse ses limites, celui du peintre que de donner à voir ce que précisément nous ne voulons pas voir.
Si le portrait renvoie à l’identité, le visage convoque l’humanité. Le visage est la rencontre en tant que telle. Le visage d'un vieillard, par delà, est la leçon impérieuse de notre condition ; sachons y trouver notre définitive façon d'être.